
« Je n’ai rien à me mettre ». Vraiment ?
Non , ne « rien avoir à se mettre » n’est pas un simplement un trope de comédie romantique, ni une réplique éculée témoignant d’une vision rétrograde de la femme. Pour qui veut voir au-delà des apparences, c’est même un phénomène intéressant et universel, auquel s’intéresse ici le psychanalyste Dominique Michelena.
L’angoisse devant le dressing est relative d’une profonde question identitaire – que celle-ci liée à une angoisse « circonstancielle », une maladie avérée ou encore une souffrance plus profonde rattachée à l’évaluation de sa propre image. Il est donc possible de se rendre compte que ce n’est pas le sujet qui porte le vêtement mais bien le vêtement qui porte le sujet.
Le vêtement, allié et adversaire
Le vêtement est le vecteur essentiel entre soi et le monde. Toute modification corporelle venant éprouver l’aspect normalisé de la silhouette entraîne une relation au corps particulière et, par conséquent, une vision du vêtement se situant entre le montré et le caché. C’est précisément dans cet entre-deux que se situent ces moments d’étranges relations avec les vêtements. Interfaces entre soi et le monde, ils sont la projection de nos peurs, de notre angoisse incessante de n’être plus accepté, aimé, désiré.
Cette peur de n’être rien remplit alors le placard de « riens », rendant invisible à nos yeux ce qui, en d’autres moments, vient couvrir notre réalité… Car si le voile cache, éloigne notre regard, que cache-t-il en réalité, si ce n’est notre vérité ? La vérité, en effet, est par nature, nue, sans voile. Se sentir bien, c’est se sentir en harmonie avec son corps, faire corps avec soi. Autrement dit, s’accepter tel que l’on est avec ses imperfections ainsi que les inévitables modifications que le temps impose à notre physique.
Pour autant, il est impossible de se regarder objectivement, ce qui signifie que vouloir un corps parfait pour l’aimer est une entreprise pratiquement impossible. La nudité, pour beaucoup, relève donc d’une véritable épreuve car jugé, scruté, détaillé, notre corps apparent est-il enfin digne d’être désiré à nos yeux ? Le vêtement vient donc cacher-montrer ce corps accepté ou non, entretenant un imaginaire du corps désiré en le voilant à nos yeux tout en le découvrant au regard des autres.
Repenser le syndrôme du dressing vide
« Je n’ai rien à me mettre », c’est la déclaration haut et fort de l’impuissance à se dévoiler à soi même et à se montrer aux autres, c’est refuser la vérité, le réel d’une situation. Dès lors, ne pourrait-on pas entendre ce « je n’ai rien à me mettre » comme un « je ne suis rien aujourd’hui » et donc, rien ne peut m’aller puisque sans forme ?
Ce refus soudain de soi, de quoi est-il donc le révélateur ? D’une surabondance d’avoir qui renverrait soudainement l’image d’une solitude individuelle face à un choix devenu impossible parce que pléthorique ?
D’une interrogation angoissante renvoyée par le miroir, nous révélant à notre nudité, la vérité de notre corps ?
La question fondamentale que pose ce constat désarmant, nous renvoie à l’articulation entre identité sociale et identité personnelle qui, ainsi combinées, forment l’inter-structuration du sujet et des institutions. Cette identité n’est pas la simple intégration des représentations sociales au cœur du Soi lui-même, mais une construction à partir d’un processus d’intégration entre le sujet et la société.
« Je n’ai rien à me mettre » n’est donc pas simplement une difficulté à se reconnaître en temps que sujet de Soi à Soi, mais plutôt une impossibilité latente à se reconnaître socialement. Dimension essentielle de l’identité, l’estime de soi est l’ensemble des sentiments et des attitudes que le sujet éprouve à l’égard de lui-même. Elle représente donc la somme des valeurs que le sujet s’attribue en ayant comme seule et unique référence lui-même en tant qu’objet.
Le Soi renvoie à la façon dont l’individu se perçoit et aux sentiments associés à ses perceptions, à l’appréhension de ses compétences et de ses interactions sociales. Une vision de soi positive favorise donc l’épanouissement personnel et l’intégration sociale, elle tend à présenter une image de soi même positive à l’autre.
L’anxiété devant le vêtement marque une perte de contrôle de soi. Cette marque d’angoisse face à l’intégration sociale n’est donc en définitive qu’une peur de soi-même. Pour autant, c’est par une auto-évaluation des effets de notre existence sur ceux qui nous entourent au plus près qu’il est possible de rétablir notre rôle social. C’est dans cette dimension affective de son identité, dans cette vérité nue et sans voiles que l’on se définit tant en être social qu’en sujet aimé et désiré.