Interview : Camille Boillet présente sa collection « Alice au Pays des Merveilles »
Créée il y a à peine plus de 2 ans, l’entreprise Camille Boillet Couture a déjà eu l’occasion de faire parler d’elle à plusieurs reprises, notamment avec ses robes de mariée adaptées au fauteuil roulant. Et pour cause, les créations de la jeune styliste sont aussi belles que variées. Zoom sur cette créatrice passionnée, qui a le souci de penser aux différentes morphologies lorsqu’elle conçoit.
Jeune styliste modéliste rouennaise de 22 ans, elle a crée sa propre entreprise Camille Boillet Couture en avril 2014 et présentait déjà sa première collection « Sublime Idylle » lors de l’Alter Fashion Week aux côtés de l’association COVER, en juin 2014. En 2015, c’est sa deuxième collection « Angélique » qui voyait le jour. En février dernier, elle participait au concours Cultures et Création parrainé par LVMH en partenariat avec Guerlain. Elle y a remporté le prix LVMH Jeune Talent 2016 avec sa petite robe noire, revisitée en hommage au parfum de Guerlain. Depuis, cette distinction lui a ouvert d’autres portes prestigieuses. Ainsi, le 1er juillet 2016, elle clôturait le Greenshowroom avec une création remarquable : la robe de mariée « Lapin Blanc » issue de sa nouvelle collection « Alice au pays des merveilles ».
Cover Dressing : Vous êtes créatrice de mode et avez créé votre propre entreprise « Camille Boillet Couture » en 2014. Quel a été votre parcours pour en arriver là ?
Camille Boillet : J’ai toujours été attirée par l’univers de la mode et de la couture. Lorsque j’étais petite mon plaisir était de regarder ma grandmère coudre. J’ai toujours été très créative mais j’ai été pas mal découragée au cours de ma scolarité notamment par les professeurs qui ne voyaient en moi qu’une élève dans la lune avec un rêve irréalisable. Heureusement, en dernière année au collège, j’ai rencontré une prof principale extraordinaire. Elle m’a aidé à trouver la bonne formation et à monter les dossiers d’inscription. J’ai donc intégré la Providence Miséricorde de Rouen et ai obtenu mon Bac professionnel Métiers de la Mode et du Vêtement en 2012.
J’ai ensuite rencontré Muriel Robine, qui à cette époque organisait une Alter Fashion Week, un événement en marge de la Fashion Week classique mais qui est dédié à tous les corps et plus spécifiquement aux personnes en situation de handicap. Muriel m’a donc confié la mission de réaliser en collaboration avec un autre styliste une robe de mariée adaptée au fauteuil roulant. Cette expérience a été révélatrice pour moi. En effet, j’ai été au contact du handicap depuis toujours : plusieurs membres de ma famille sont en situation de handicap et j’ai même une cousine se bat pour déstigmatiser le handicap à l’école et au travail. C’est à ce moment là que j’ai réalisé qu’il restait beaucoup de choses à faire pour faire évoluer les mentalités vis à vis du handicap. J’ai donc voulu contribuer à ce changement à ma petite échelle et tout en faisant ce que j’aimais.
CD : Lorsque vous concevez vos modèles, vous avez le souci de penser à toutes les morphologies y compris aux personnes en situation de handicap. Pourquoi est-ce important pour vous de rendre la mode accessible pour tous ?
CB : C’est important pour moi car, premièrement, j’ai toujours eu une morphologie plutôt ronde et je sais ce que c’est que de ressortir d’un magasin en larmes parce que les vêtements ne vont pas ou parce que la vendeuse vous a fait une réflexion désobligeante. De plus, j’ai dans mon entourage des personnes en situation de handicap ou ayant une morphologie spécifique et je sais de par leurs témoignages que c’est souvent un enfer de s’habiller comme elles le souhaitent, et même pour certains de rentrer dans les magasins car ils ne sont pas forcément accessible. Pour moi, la mode doit s’adresser à tous car les vêtements sont un passeport pour la vie en société et ce n’est pas normal que chacun ne puisse pas avoir le choix en matière d’habillement sous prétexte qu’il est différent.
CD : En février 2016, vous avez gagné le prix LVMH en participant au défilé Culture et Création en partenariat avec Guerlain, grâce à votre réinterprétation de la petite robe noire. Qu’est-ce qui a changé pour vous depuis ?
CB : Beaucoup de choses ont changé pour moi depuis ce prix. J’ai eu beaucoup de retombées dans la presse, ce qui m’a permis de me faire connaître et m’a amené de nouveaux clients. J’ai également eu la chance de pouvoir être accompagnée par Florence Rambaud, directrice de l’Institut des Métiers d’Excellence LVMH, Olivier Théophile de la responsabilité sociale du groupe LVMH et Régina Lachaume, chargée de mission handicap au sein de LVMH. Tous m’ont aidé à améliorer l’image de mon entreprise et m’ont donné des conseils sur la présentation de ma nouvelle collection. Tout ce qu’ils m’ont dit me servira pour les collections à venir, ils m’ont vraiment permis de prendre conscience des points faibles de mon entreprise et m’ont aidé à y remédier.
En mai, le groupe LVMH m’a organisé une visite privée des ateliers Haute Couture de Dior et m’ont permis de rencontrer leurs « petites mains » ainsi que leurs premiers et seconds d’atelier. Ainsi, j’ai eu le privilège de découvrir comment naissaient les collections Dior. Mais ce n’est pas tout, la maison Dior m’a proposé d’intégrer leurs ateliers en tant que modéliste le temps d’une collection afin que je puisse aller encore plus loin dans ma découverte des métiers du luxe. En juin, j’ai eu la chance de m’envoler pour Berlin afin de participer au Greenshowroom de la Fashion Week berlinoise et y présenter ma nouvelle collection financée par le groupe. Sur place, j’ai vraiment été chouchoutée et j’ai fait beaucoup de rencontres intéressantes. Et enfin, en septembre, ma petite robe noire défilera dans la boutique Guerlain des Champs-Elysées lors d’une soirée privée en présence de la presse mode.
Ce prix m’a ouvert des précieuses portes pourtant si inespérées ! Parfois il faut croire en ses rêves même s’ils semblent inaccessibles pour le moment, si c’est la bonne voie le chemin s’ouvrira de lui même !
CD : Remporter le prix LVMH jeune Talent vous a permis, début juillet 2016, de participer notamment au Greenshowroom lors de la Fashion Week de Berlin. Comment l’expérience s’est-elle déroulée pour vous ?
CB : Tout s’est très bien passé ! J’ai été chouchoutée par tout le monde, ils étaient surpris de voir débarquer de France une jeune styliste avec un projet comme le mien et déjà soutenue par LVMH. J’ai rencontré beaucoup de professionnels de la mode et ce fut très intéressant d’échanger avec eux.
Concernant le défilé, les backstages étaient très bien gérés par des personnes très compétentes qui ont tout pris en main, je n’ai eu qu’à déposer mes tenues et donner mes recommandations et ils se sont chargé de tout ! Ce fut un réel soulagement pour moi, j’ai pu profiter du défilé en tant que spectateur, c’est très rare que je puisse voir mes tenues défiler puisque je suis souvent dans les coulisses. A ma grande surprise, les organisateurs ont décidé de mettre mes tenues à l’honneur en clôturant le défilé par ma robe de mariée « Lapin Blanc » adaptée au fauteuil roulant.
CD : Quels sont les enjeux du Greenshowroom ? Qu’avez vous retiré de cette expérience ? Pourquoi est-ce important pour vous de concevoir des vêtements dans le respect de l’environnement ?
CB : Le Greenshowroom est un salon qui a pour but de promouvoir la mode éthique. La totalité des marques qui y ont été présentées avaient toutes un aspect environnemental. Ce fut intéressant pour moi, car j’ai pu découvrir de nouvelles marques avec chacune leur histoire et j’ai appris les caractéristiques d’un vêtement respectueux de l’environnement. Il est vrai que je ne m’étais jamais vraiment posé la question, même si je privilégie les matières naturelles avec peu de traitements chimiques pour mes créations pour éviter les réactions allergiques, j’ai découvert que la mode éthique allait encore plus loin et pas forcément pour des prix excessivement chers.
CD : Lors de la clôture du Greenshowroom, votre robe de mariée « Lapin Blanc » a été très remarquée. Quelles sont les caractéristiques de cette robe ? Comment l’avez-vous pensée et conçue ?
Cette robe de mariée est différente puisqu’elle est adaptée au fauteuil roulant. Le jupon rigidifié est amovible et s’adapte à tous les fauteuils roulants. Après plusieurs tests, il a été établi que l’on peut effectuer n’importe quelle manoeuvre avec le fauteuil sans que la robe ne se prenne dans les roues. Le bustier est séparable afin de faciliter l’enfilage. Concernant les matières utilisées, ce sont des matières naturelles afin d’éviter les allergies : de la soie et de la laine angora bio.
CD : La robe fait partie de votre nouvelle collection « Alice au pays des merveilles ». Pouvez-vous nous parler de cette nouvelle ligne ? Pourquoi avoir choisi ce thème ?
CB : J’ai choisi le thème Alice au Pays des merveilles car je suis une personne rêveuse et c’est un conte qui m’a toujours énormément plu, que ce soit l’oeuvre originale de Lewis Caroll, la réinterprétation de Disney ou encore celle de Tim Burton. C’est un univers où tout est possible. Alors lorsque Florence Rambaud, qui était ma coach personnelle, m’a demandé de choisir un thème pour ma nouvelle collection, c’est celui-ci qui est sorti en premier. Pour chacune des tenues, je me suis inspirée de l’état d’esprit du personnage que la tenue doit évoquer.

La tenue d’Alice est mon interprétation de la tenue de la petite fille modèle qu’est censée incarner Alice dans le conte. L’histoire nous prouve par la suite qu’elle est bien loin de cette image que son entourage souhaite lui attribuer. La robe est en soie bleue brodée de guipure blanche car pour moi le bleu et le blanc sont les couleurs d’Alice par définition.
La tenue du Chat du Cheshire est une tenue chic composée d’une veste décolletée grise et bleue et d’un pantalon gris taille haute. J’ai dessiné les lignes de cette silhouette en gardant à l’esprit que c’était un personnage hautain et très gracieux. Pour parfaire la tenue, un collier de la marque Stella&Dot vient rappeler le fameux sourire du chat.
La tenue de la Reine Blanche est là encore une tenue que j’ai présentée au concours LVMH du défilé Cultures et Création. C’est une robe blanche éclairée de LED orné d’un serre taille en origami et d’une collerette à la Médicis. C’est une tenue étudiée pour allonger la silhouette et ainsi donner une impression de grandeur et de royauté.

La tenue de la Reine de Coeur est la petite robe noire avec laquelle j’ai remporter le Prix Jeunes Talents LVMH car pour Florence comme pour moi, il était important d’intégrer la robe grâce à laquelle je vis tout cela. Les accessoires jouent ici un rôle primordial puisque ce sont eux qui font la différence. J’ai donc complété la tenue par une coiffe inspirée de la coiffure de la reine de cœur dans la version de Tim Burton. Cette coiffe a été réalisé par Audrey Juhel, hair stylist du salon AJ Tendance à Heudebouville. Audrey a vraiment des doigts en or ! Et pour parfaire le look j’ai ajouté des chaussures en cuir à découpe coeur.
La tenue du Valet de Coeur va de paire avec celle de la Reine de Coeur puisque c’est une réinterprétation de celle ci en plus simple car le Valet ne doit pas éclipser la Reine. C’est une robe coupe crayon noire avec une découpe coeur à l’encolure. Cette tenue est adaptée au morphologies les plus rondes.
La tenue du Lapin Blanc est la robe de mariée de la collection. Il s’agit d’une robe de mariée adaptée au fauteuil roulant composé d’un bustier en soie naturelle ivoire et d’un jupon orné de plus de 500 pompons en laine angora BIO. Les pompons représentent ici la queue du lapin. J’ai choisi le personnage du Lapin Blanc pour la robe de mariée car dans le conte, il symbolise le temps qui passe puisqu’il est tout le temps en retard et la robe de mariée est le symbole de l’amour qui dure jusqu’à la fin des temps, je trouvais le parallèle assez intéressant. Et puis il s’appelle le Lapin Blanc donc pour une robe de mariée c’était assez bien indiqué.
CD : Comment cette robe de mariée a-t-elle été reçue à la Fashion Week de Berlin ?
La robe de mariée a été très bien accueillie ! C’était un public entièrement composé de professionnels de la mode et je pense qu’ils ont été surpris de voir une robe de mariée adaptée au fauteuil roulant et des tenues valides défiler sur un même podium. Après le défilé, beaucoup sont venus me voir pour me féliciter et me dire que c’était une bonne idée d’ouvrir de nouveaux horizons en matière de mode. Certains n’y ont vu que le côté marketing, mais la plupart ont vraiment saisi mon message. Ils m’ont dit que j’avais ouvert le dialogue en Allemagne sur la mode adaptée. Cela m’a fait plaisir à entendre, je suis très heureuse d’avoir pu présenter mon travail et encore plus heureuse que mon message ait été compris ! Si j’ai pu contribuer à ouvrir ne serait-ce qu’un peu les mentalités sur la mode adaptée, c’est une vraie réussite pour moi !
CD : Le podium avait-il été pensé d’emblée pour qu’une personne en fauteuil puisse défiler, ou bien avez-vous dû demander des aménagements spéciaux ?
CB : Non, le podium n’était pas pensé pour accueillir des personnes en situation de handicap étant donné qu’ils n’avaient jamais eu ce cas de figure. L’accès a été aménagé afin de permettre au fauteuil de monter aisément sur le podium. Les organisateurs étaient très contents d’accueillir une robe de mariée adaptée au fauteuil roulant mais ils étaient un peu effrayés par rapport à l’organisation et aux aménagements. Au final, tout s’est passé pour le mieux et tout le monde a été ravi !
CD : Après la Fashion Week de Berlin, le suivi et le partenariat avec Guerlain, quelle est la prochaine étape pour vous ?
CB : Ma petite robe noire défilera dans la boutique Guerlain sur les Champs Elysées lors d’une soirée privée en septembre. Je devrais également intégrer les ateliers Haute Couture de Dior en novembre pour participer, en tant que modéliste, à l’élaboration de leur nouvelle collection. Cela va me permettre d’apprendre encore et de perfectionner ma technique. En février prochain, je participerai à nouveau au défilé Cultures et Création mais cette fois-ci en catégorie Honneurs, ce qui me permettra de faire connaître ma marque un peu plus.
Je compte par la suite continuer à développer mon entreprise en mettant en pratique les conseils reçus et les nouvelles techniques apprises durant mon passage chez Dior. Il y a encore de belles choses qui attendent Camille Boillet Couture dans les années à venir !
CD : Est-ce très différent, en tant que styliste et couturière, de créer une robe de mariée pour une personne en fauteuil plutôt que pour une personne debout ?
CB : Oui, une robe de mariée valide et une robe de mariée adaptée pour une personne en situation de handicap sont très différentes. Il faut repenser complètement la forme de la robe pour que le rendu soit esthétique et fonctionnel. La posture assise modifie la totalité du patron, il a fallu en créer un de toute pièce. En position assise, le tissu a tendance à plisser ce qui n’est pas forcément joli sur une robe de soirée ou de mariée puisque ça donne une impression de vêtement froissé. Il a donc fallu intégrer des pinces afin de supprimer le surplus de tissu. La difficulté majeure est qu’il faut toujours penser à la morphologie de la personne mais également au fauteuil. Il faut que la tenue soit adaptée aux deux tout en étant au goût de la cliente. Les matières sont également à prendre en compte, il faut privilégier des matières naturelles ou peu traitées chimiquement afin de réduire le risque d’allergies. Les fermetures doivent pouvoir s’ouvrir entièrement pour faciliter l’enfilage et elles doivent être assez solides pour ne pas craquer en pleine cérémonie sans être trop raides pour ne pas blesser la personne.
CD : Le milieu de la mode est-il, selon vous, en train de changer vis-à-vis du handicap ? A votre avis, à quel niveau se situent les principaux blocages des métiers de la mode au regard du handicap ?
CB : Depuis quelques années, j’ai pu constater que le regard du monde de la mode commençait à changer vis-à-vis du handicap. Pour preuve, certaines « Fashion Week » ont commencé à faire appel à des mannequins en situation de handicap pour présenter leur collection. Cela dit, ne nous réjouissons pas trop vite car ce n’est que le début, il reste encore beaucoup à faire. Certaines personnes m’ont déjà dit que je devais séparer les défilés de mannequins valides et ceux de mannequins en situation de handicap : selon eux cela aurait plus d’impact. Je ne suis pas d’accord, c’est tout le contraire ! Pour moi, faire défiler sur un même podium mannequins valides et mannequins en situation de handicap, c’est le meilleur moyen de faire évoluer les mentalités ! On ouvre le champs des possibles sans enfermer les mannequins en situation de handicap dans des cases. On réunit tous les corps. C’est la diversité qui rend le monde beau alors pourquoi ne pas représenter la diversité des corps sur un même podium ?
Par ailleurs, je pense que le vrai blocage des métiers de la mode au regard du handicap est plutôt basé sur l’aspect technique. J’ai pu le constater lorsque je suis allée à la Fashion Week de Berlin, les organisateurs craignaient de ne pas pouvoir adapter la scène et en backstage ils se posaient pas mal de questions quant à l’enfilage et au positionnement de la robe de mariée. Au final, tout s’est bien passé mais j’ai pu voir qu’ils appréhendaient un petit peu cette nouveauté sur le podium. J’espère que cette première expérience positive leur donnera envie de poursuivre les années suivantes !