Se vêtir, à l’aune du handicap
Quel rapport entretient-on avec les vêtements que l’on porte ? L’habit ne fait pas le moine, a-t-on coutume de dire. Mais si ce n’est pas l’habit, alors qui fait le moine ?
Ce que nous dit le vêtement de l’individu ne serait pas la vérité mais seulement l’apparence d’une vérité, une construction faite de superpositions textiles qui tour à tour cache et montre, voile et dévoile consciemment ou inconsciemment.
S’habiller : les fonctions du vêtement
Une des fonctions du vêtement est la distinction : distinction des sexes, des âges, des caractères sociaux. Se distinguer et tout à la fois s’intégrer, agir finalement dans un sens et son contraire. Le vêtement est autant ce que nous voulons montrer de nous-même que ce que nous désirons dissimuler…
C’est une protection contre les éléments, les piqûres, les coups, c’est aussi un masque qui protège sa pudeur du regard des autres mais qui, ce faisant, donne un prix à ce que l’on cache et donc, provoque le désir de dévoiler ce que l’on recouvre. Le vêtement est une parure destiné à exalter, à magnifier le corps tout entier ou en partie. Il peut le grandir, l’amincir, le rendre plus beau, élancé, fort, puissant.
S’habiller : être aux yeux de tous
Le vêtement est le prolongement d’un inconscient autant que d’un désir, il désigne à la fois ce que l’on sait de soi et ce que l’on laisse entrevoir de ce qu’on ne soupçonne pas de soi-même. Cet équilibre fragile entre le dit et le non-dit, entre le su et l’ignoré s’incarne profondément dans le monde du handicap. Pourquoi ? Parce que s’habiller est aussi un langage, une manière de dire ce que la plupart ne peut ou ne veut entendre. C’est encore un vocabulaire silencieux qui, sans un mot, parle à soi-même et aux autres mais à des niveaux radicalement différents car ils tiennent autant du désir conscient qu’inconscient. La parole, ici, prend sens dans le regard et l’impact qu’il produit sur l’imaginaire.
D’une place difficile à trouver dans la cité, le handicap pose la question d’une intégration non seulement dans l’espace mais aussi dans la parole et la totalité de ses supports. Ce qui nous est dit là, c’est ce désir paradoxal de revêtir l’habit de tous, du commun, afin de vivre et de paraître comme tout le monde alors que le monde, lui, n’est pas à la mesure du handicap. Désirer demander ce que l’on n’a pas, ce que la société ne peut offrir, voilà peut-être ce qui caractérise en partie l’inaudible dialogue entre la norme et le hors norme.
Le sujet et la perte
C’est dans cet intervalle particulier entre un désir parfois mal identifié ou même reconnu et le réel que se joue sûrement le fait que chaque Sujet est avant tout un être de contradictions. Ces contradictions prennent leur origine dans le fait que tout Être ne devient Sujet qu’en assumant une perte, celle que Freud appelle « castration ». Ainsi, pouvoir perdre en affrontant son angoisse c’est enfin et surtout apprendre à accéder à son désir en assumant le manque.
Ce dont on se vêt afin de montrer, cacher, sublimer, parler de soi ou du regard de l’autre est en fait un parcours. Un cheminement symbolique dont le danger serait de se condamner à la quête perpétuelle de soi-même en cherchant à fuir ce que l’on est.