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Chronique ciné de Circé : Cake et les douleurs chroniques

Dans Cake, Jennifer Aniston incarne une jeune femme souffrant de douleurs chroniques : un handicap invisible difficile à appréhender et à expliquer à ceux qui n’en souffrent pas, mais que l’actrice parvient à retranscrire à l’écran.

Quand on parle de handicap au cinéma, on pense tout de suite à Intouchables ou à De rouille et d’os, des films dans lesquels le handicap est visuellement présent. Mais qu’en est-il des handicaps invisibles ? Comment présenter à l’écran ce que l’on ne voit pas ?

Synopsis

Sorti en avril dernier, Cake a été réalisé par Daniel Barnz. Il raconte le quotidien de Claire Bennett (Jennifer Aniston), dont l’histoire se découvre peu à peu, comme un puzzle dont on assemblerait les pièces. Au début du film, on la voit participer à un groupe de parole dont on ne connaît pas l’objectif. Puis, on comprend que Claire souffre de douleurs chroniques et qu’elle a vécu un drame personnel, sans vraiment savoir lequel. Durant toute une partie du film, le doute plane d’ailleurs sur l’origine et la véracité de ces douleurs : sont-elles bien réelles ? N’y a-t-il pas, de la part de Claire, un simple manque d’efforts ? Et pourtant, le film ne semble pas porter de jugement sur le paradoxe de ces douleurs que l’on n’arrive pas à soigner, que l’on ne peut pas voir et encore moins appréhender de l’extérieur.

Le personnage de Claire

Le fait d’avoir au départ peu d’éléments biographiques soulève beaucoup de questionnements. Les difficultés ainsi que la souffrance du personnage sont très bien retranscrites, que ce soit dans le jeu de Jennifer Aniston ou grâce au scénario du film lui-même. Le personnage de Claire paraît d’abord assez antipathique car difficile à comprendre. Mais c’est justement là que le film fait mouche. Désagréable, froide, cynique, etc…  On aurait presque envie de la secouer, de lui donner un coup de pied aux fesses.

Puis on découvre son histoire, ses douleurs, et l’image négative que l’on s’était faite d’elle se transforme peu à peu. Rien n’est plus compliqué, pour quelqu’un qui ne les vit pas, que de comprendre ce que représentent des douleurs chroniques. Elles vous rongent de l’intérieur, vous isolent, transforment votre vie en un perpétuel brouillard (comme j’en avais déjà parlé ici). Et en regardant l’histoire de cette jeune femme, c’est exatement ce qui se passe : on se dit qu’elle en rajoute, on la juge, puis on se retrouve à regretter les pensées que l’on a eues quand on prend conscience que ce n’est pas si simple.

La difficile représentation des douleurs chroniques

Les douleurs chroniques sont sans conteste un handicap invisible. Elles modifient votre rapport au monde, conditionnent certains de vos gestes, vous forcent à réfléchir à des actes pourtant simples de la vie quotidienne. Difficiles à appréhender pour quelqu’un qui ne les subit pas, elles sont pourtant mises en image de façon convaincante, grâce à la performance de Jennifer Aniston, bluffante de réalisme (l’actrice a d’ailleurs remporté plusieurs prix pour ce rôle et a été nommée aux Golden Globes, dans la catégorie « meilleure actrice dans un film dramatique »). Comment ne pas se retrouver, quand on y est soi-même sujet, dans ces traits marqués par une douleur quasi-constante ? Ou dans ces attitudes de rejet qui accompagnent l’espoir d’aller mieux, rendu douloureux par l’angoisse de l’échec ?

Une scène provoque tout de même un certain malaise. Claire est à la piscine avec sa kiné ; lorsque celle-ci lui demande si elle veut vraiment aller mieux, Claire lui répond que oui. C’est un moment charnière du film : on sent que la jeune femme est prête à dépasser le drame qu’elle a vécu. Mais ce passage peut aussi être vu comme le moment où elle décide elle-même d’aller mieux, un peu comme si ses douleurs n’étaient que psychologiques.

Douleurs et souffrances psychiques

Claire souffre de douleurs chroniques qui sont intrinsèquement liées à la souffrance de la perte de son enfant. Faire le distinguo entre ces deux peines, savoir si l’une est plus forte que l’autre pour définir le noeud du problème, est quelque chose de compliqué. Les douleurs créent en elles-mêmes une souffrance souvent innommable. Ici, les douleurs ont une raison, une racine – ce n’est pas toujours le cas. Mais surtout, elles ont un sens pour nous, spectateur. Claire se débat avec elles comme on se noierait dans un océan. Elle ne les analyse pas, n’a pas de recul et c’est effectivement une caractéristique propre aux douleurs chroniques : elles empêchent de réfléchir, prennent toute la place et effacent tout le reste.

Ni racoleur, ni sentimentaliste à l’excès, Cake ne fait pas partie des films qui subliment ou transcendent le handicap, mais de ceux qui dépeignent une réalité dure : celle de ces douleurs qui nuancent toute votre vie de cette couleur grise.

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