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Hawkeye : 2 façons d’aborder la surdité en comics

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Quand on parle de handicap dans l’univers des comics, le Vengeur Hawkeye (alias Clint Barton) n’est pas le premier personnage qui vient à l’esprit et c’est fort compréhensible. Pourtant, l’archer violet a été canoniquement privé de son ouïe à deux reprises.

Dès sa première mini-série en quatre chapitres (1983), Hawkeye se voyait définitivement privé de 80% de ses capacités auditives et ce n’est qu’en 1996 que cet état de fait sera « annulé ». Mais depuis Hawkeye #19 (juillet 2014), le voici de nouveau officiellement sourd. Hawkeye est donc un héros deux fois sourd qui offre deux approches très différentes de ce handicap.

La surdité de Hawkeye

En 1983, Œil-de-Faucon (son nom français) sacrifie son ouïe, dans l’exercice de ses fonctions super-héroïques, pour défaire un ennemi. Bien qu’entouré de ses collègues, de son épouse aimante et de quelques amis, le handicap qui le frappe est présenté comme une gêne, comme un secret embarrassant, comme une faille qui mettrait en danger l’ensemble des super-héros associés. La surdité est ici avant tout un désavantage tactique.

Le personnage à ses débuts est un frondeur fier qui compense son absence de super-pouvoir par un caractère fort et buté. Et bien que sa femme le pousse à apprendre à vivre avec son handicap, il n’en fait d’abord qu’à sa tête, allant même jusqu’à parfois refuser de porter ses implants auditifs construits sur mesure par Tony Stark/Iron Man, prétextant qu’ils n’étaient pas discrets et que si trop de personnes étaient au courant de son état, cela compromettrait leur sécurité à tous.

Malheureusement, Marvel ne sut quoi faire de ce handicap, de cette toute nouvelle facette à explorer et à présenter. La maison d’édition ne le mentionna plus que de façon anecdotique, comme pirouette scénaristique ou comme remplissage entre deux dialogues jusqu’à entièrement « annuler » la surdité de l’archer violet en 1996.

Blue ear ou l’importance de la représentation

En 2012, le scénariste Matt Fraction et le dessinateur David Aja prenaient en charge la nouvelle série Hawkeye. Faisant le grand écart entre ambiance polar et chapitres contemplatifs, leurs talents combinés ont propulsé le personnage sous les feux de la rampe. La même année, la mère du petit Anthony Smith écrivait à Marvel pour leur signifier que son jeune fils malentendant refusait de porter son appareil auditif (appelé « Blue ear ») sous prétexte que les super-héros n’en portait pas. Elle soulignait qu’il serait peut être temps de changer ça.

Marvel eut tôt fait de renvoyer une lettre contenant les aventures du super-héros Anthony Smith, sous les traits d’un personnage inédit nommé Blue Ear (et équipé, vous l’aurez deviné, de son appareil auditif), un dessin d’Hawkeye accompagné d’Anthony en costume de Blue Ear et un petit mot rappelant à qui voulait l’entendre qu’il avait existé un temps où Hawkeye lui-même portait des prothèses auditives (enfin, quand lui aussi acceptait de les mettre).

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La réaction de Matt Fraction ne se fit pas attendre. En février 2013, il annonça qu’un chapitre entier de la série serait dédié à la surdité et comporterait des éléments en langue des signes. En contact avec des adultes et parents d’enfants sourds et malentendants, il mûrit ce chapitre pendant plus d’une année. Et le résultat en vaut la peine. Cette surdité est différente: elle ne frappe non plus le héros, mais l’homme. Déjà au cours des dix-huit numéros précédents, Clint Barton avait été présenté comme un héros du quotidien, un peu loser au grand cœur, un peu aimant à problèmes. Et c’est cet homme-là, (presque) ordinaire, qui va se faire transpercer les tympans, ironiquement avec ses propres flèches.

La surdité de Clint Barton

La différence est flagrante : Clint est sourd et c’est déstabilisant. Il doit réapprendre à communiquer et à se faire comprendre. Tout ce combat se retrouve autant dans les faits, dans le scénario du chapitre dont il est question, que dans la mise en page et la construction de l’objet en lui-même. Visuellement réussie, la représentation graphique de la surdité est aussi lourde de sens.

WTINP4dCe chapitre favorise d’abord les échanges par écrit, Clint communiquant avec son frère par écran d’ordinateur ou sur papier. A défaut de support, ils signent. En guise de traduction, les cases sont séparées par des gros plans sur lesmains et des décompositions des gestes effectués. Quand les deux hommes parlent sans se regarder, les bulles sont entièrement vides. Parfois un seul mot, attrapé au vol, apparaît. L’espace est occupé physiquement, mais le lecteur est plongé dans le silence et l’incompréhension. Il perd ses repères connus et voit ses attentes chamboulées, et à mesure que les pages se tournent, il réalise, que dans une certaine mesure, il est aussi perdu que son héros, à tenter de déchiffrer le sens de tel ou tel signe. Il vit l’expérience de la surdité sur papier.

Le tour de force de Fraction et Aja, c’est de faire comprendre grâce à ce simple épisode que surdité ne rime pas nécessairement avec absence de dialogue ou d’échange. C’est un handicap et un combat, certes, mais Hawkeye prouve son héroïsme en relevant le défi. Pour le moment rien ne nous dit que cette seconde surdité sera définitive, mais notre archer n’a toujours pas magiquement recouvré l’ouïe à l’heure où ces lignes sont écrites et d’autres auteurs de chez Marvel ont d’ores et déjà assimilé l’information selon laquelle le Hawkeye nouveau était malentendant et qu’il allait falloir faire avec ce nouvel élément constitutif du personnage.

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Contrairement à un personnage comme Matt Murdock/Daredevil, dont les pouvoirs sont directement liés au handicap (la non-voyance), Clint Barton/Hawkeye reste un homme (presque) comme les autres. Il n’avait pas de super-pouvoirs avant, il n’en gagne pas une fois ses tympans percés. Il reste égal à lui même et doit simplement apprendre à vivre différemment. Comme tout le monde. Si Marvel avait déjà un catalogue relativement fourni en terme de diversité, avec Hawkeye, le pas est sauté dans l’acceptation et la normalisation du handicap.

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