Les yeux dans les yeux avec Martine
Martine est une femme, une maman et une grand mère dynamique de 62 ans, très mal voyante depuis l’âge de 39 ans. Atteinte d’une maladie génétique qui atrophie le nerf optique (faisant perdre la vue centrale et ne laissant qu’un peu de périphérie), elle n’en est pas moins « regardante » quant à sa coquetterie ! Interview.
Cover Dressing : Quelles difficultés rencontrez vous au quotidien ?
Martine : La principale difficulté qui subsiste, c’est l’autonomie dans les déplacements. Le fait de dépendre forcément de quelqu’un lorsque j’ai envie d’aller faire du shopping par exemple. Je suis d’ailleurs partie de Fécamp car cette ville n’était pas suffisamment adaptée aux handicaps de façon générale. Au Havre, nous bénéficions de nombreux dispositifs (télécommande pour les feux, service mobifile taxi..). De la même manière, lorsque je fais du shopping ,je regrette que les vendeuses ne soient pas plus disponibles pour nous accompagner, nous montrer la taille, la forme, les couleurs, le prix… (Martine utilise une loupe électronique pour déchiffrer les étiquettes, ndlr).
CD : Pourquoi est-ce si important pour vous de vous faire belle, de prendre soin de vous ?
Martine : Pour moi-même, et je pense que toutes les personnes en situation de handicap le font également d’abord pour elles-mêmes. Je le fais pour me sentir bien. Ce n’est pas parce que je ne vois pas bien que je ne dois pas me maquiller, me coiffer… C’est une question, non pas de fierté, mais d’amour propre, de s’aimer soi même. Et puis, j’ai des enfants, des petits-enfants. Je veux leur donner une bonne image, qu’ils ne me voient pas étant ni coiffée, ni maquillée. Mais encore une fois, c’est avant tout pour moi.
CD : Est-ce que vous fréquentez des établissements spécialisés (instituts de beauté, salon de coiffure) ?
Martine : Je fréquente un institut de beauté à Fécamp où mon esthéticienne m’applique du maquillage permanent sur le contour des yeux. Au Havre, je vais très régulièrement dans un institut de beauté qui est également un salon de coiffure. J’y ai rencontré Sandra qui est une personne en qui j’ai entièrement confiance. Elle dispense des ateliers coiffure et maquillage. J’ai beaucoup appris.
CD : Comment repérez vous vos produits de beauté, de maquillage ?
Martine : Pour les acheter, je vais toujours au même endroit et c’est toujours la même personne qui s’occupe de moi. Ainsi, elle sait parfaitement ce que j’utilise, me guide et me conseille.
CD : Comment savez vous que vous utilisez le bon produit, la bonne couleur et au bon endroit ?
Martine : Je range tous mes produits minutieusement et toujours à la même place. Par exemple, dans le tiroir je range tout au fond à droite mon fard à paupières, ensuite mon blush et pour finir ma poudre de soleil. Et puis au niveau des soins de peau, je m’arrange à avoir des contenants de formes différentes pour les reconnaître (par exemple la crème de jour est dans un pot rond de taille moyenne, la crème du contour de l’œil est elle aussi dans un contenant rond mais plus petit, la mousse démaquillante est un flacon pompe, ect…). De la même manière, je classe mes parfums sur la tablette par marque et par flagrance (les plus soutenus d’un coté et les plus légers de l’autre, séparés par un pot rempli d’échantillons).
Cover : Comment procédez vous pour vous maquiller, faire vos soins ?
Martine : Je commence toujours par me nettoyer le visage et j’applique ensuite une lotion à l’eau de rose. Puis ma crème de jour et ma crème pour le contour de l’œil, que j’applique de l’intérieur vers l’extérieur. Ensuite, j’applique un peu de poudre transparente sur mes paupières pour les matifier, puis j’applique la couleur la plus foncée au doigt du bord externe de l’œil en revenant vers le milieu de la paupière. J’applique ensuite la couleur la plus claire en me repérant avec mon doigt sur la partie intérieure de la paupière. Je répète de l’autre côté. Pour le mascara, comme je me maquillais avant de perdre la vue j’ai gardé le bon geste et il n’y a pas de paquet !
J’ai appris à appliquer le font de teint à l’éponge en faisant des petits mouvements circulaires mais la valeur sure est la BB cream qui s’applique comme une crème de jour mais qui unifie et teinte légèrement le teint. Le blush, je l’applique en faisant un « 3 » sur ma pommette sans trop insister. Et pour finir, je mets mon rouge à lèvre en suivant mes lèvres. J’essuie ensuite les commissures et le contour de mes lèvres en passant le doigt pour être certaine de retirer l’excédent. Je dois avouer que les débuts ont été quelque peu comiques ; mes enfants me disaient que je ressemblais à un clown ! Avec la persévérance, aujourd’hui j’y arrive très bien.
CD : Quels gestes ou astuces donneriez vous à nos lectrices ?
Martine : De participer à des ateliers, si elles en ont l’occasion, car on y apprend beaucoup de choses très utiles pour le quotidien et l’autonomie. Question beauté, par exemple de mettre un coton juste en dessous de l’œil et d’y poser la brosse du mascara, puis simplement de battre des cils. Ainsi le mascara est appliqué correctement sans traces ni paquets ! Le toucher est également très important, repérer les zones à maquiller.
CD : Avez-vous déjà participé à des ateliers spécifiques (maquillage, coiffure…) ? Comment cela s’est-il déroulé ? Qu’en avez-vous retenu ?
Martine : Oui, justement avec Sandra de l’institut du Havre, qui dispense divers ateliers. J’ai pu donc participer à un atelier maquillage au cours duquel nous sommes 4 personnes au maximum et elle nous apprend par exemple à utiliser l’éponge pour appliquer le font de teint, les couleurs à privilégier en fonction de la couleur de nos yeux, de nos cheveux, etc… J’ai également participé à un atelier coiffure qui celui-ci s’est déroulé individuellement et où j’ai appris a bien placer mes cheveux.
CD : Selon vous, que faudrait-il en matière de beauté pour vous faciliter le quotidien ?
Martine : Je pense qu’il faudrait que les vendeuses, les conseillères, les esthéticiennes soient davantage formées à répondre à la demande des personnes mal ou non voyantes. Qu’elles puissent être en mesure de nous informer, nous conseiller, nous démontrer les produits. Il faudrait également que des ateliers beauté se multiplient et soient davantage dispensés à des personnes en situation de handicap. Qu’ils soient accessibles pour tous, tant géographiquement que financièrement.