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Chronique ciné de Circé : Ne touchons pas à Intouchables

J’ai souvent le droit à des remarques ou des questions sur ce film, que ce soit lorsque j’écris des articles ou dans ma vie privée. Et ça me démange depuis un moment de faire un article sur ce film on ne peut plus connu. Retour sur le phénomène Intouchables.

Les chiffres

Quand on parle d’Intouchables, on parle d’un film qui a généré 300 millions de dollars de recettes dans le monde : du film français le plus vu à l’étranger, avec 25 millions d’entrées; du film ayant été primé 16 fois. Et n’oublions pas que 19 440 920 d’entre vous sont allés le voir en salle. Ce n’est pas rien, et ça donnerait presque le vertige.

Le sujet

Je vous passerai l’habituel synopsis, imaginant que la plupart d’entre vous le connaissent déjà. Ce que je trouve intéressant, c’est de constater à quel point les réponses divergent quand je demande aux personnes ce qu’est, selon elles, le sujet principal du film: elles me répondent que « ça parle du handicap », ou bien que « c’est une histoire d’amitié », ou encore que « ça aborde avant tout la différence de statut dans notre société et les préjugés que l’on peut avoir ». Et moi dans tout ça, j’en pense quoi ? Je pense que c’est un film narrant l’amitié entre une personne handicapée et riche, et un petit jeune de banlieue qui, au départ, n’y connaît rien. Je pense que ce film aborde beaucoup de thèmes et qu’il est dommage de le réduire à une seule idée.

Les commentaires

Quand il est sorti, fidèle à moi-même je ne suis pas allé le voir immédiatement. Les films très médiatisés, très peu pour moi : j’en ressors souvent déçue, donc je ne me précipite pas. Mais c’était presqu’un sacrilège. Quoi ? Moi, handicapée, je n’étais pas allés voir Intouchables ? On m’a demandé ce que j’en pensais, on m’a fait des diatribes sur le fait que, enfin, on parlait du handicap. Une amie lourdement handicapée m’en avait aussi parlé. Pour elle, c’était un film drôle. Mais ça n’avait pas cette aura, que les gens lui accordaient, sur le handicap. C’était juste un bon film.

J’ai tout de même fini par aller le voir, mais presque comme une obligation. Ça ne partait pas très bien. Mais, après tout, suis-je mieux placée que vous pour juger ce film ? Je ne suis pas tétraplégique. Je n’ai pas une baignoire à pied et mon salon/salle à manger rentrerait entièrement dans la salle de bain qui nous est montrée.

Là où je me suis retrouvée

Par contre, c’est vrai : toute proportions gardées, je suis quand même un peu handicapée. Alors oui, j’ai retrouvé certains gestes de l’accompagnant. Certains haut-le-cœur, quand on se met à parler de choses aussi intimes et triviales que le pipi ou le caca. Je me suis revue les fois où, avec mes neveux et nièces, je joue de mon handicap en faisant mine de tomber ou de ne pas comprendre quelque chose, pour voir la tête des gens autour de nous.

Puis j’ai ri. Pas forcément au même moment que les autres spectateurs. D’ailleurs éclater de rire quand la salle de cinéma est silencieuse comme une grotte, ce n’est pas discret. J’ai même été émue, égoïstement émue. Quand on voit Philippe (François Cluzet) rencontrer enfin la femme avec qui il entretient des échanges épistolaires, le stress qu’il a de voir le regard qu’elle portera sur lui : ça a eu un petit goût de déjà-vu. Quand on voit, aussi, comme la vie continue fidèle à elle-même, alors que Driss (Omar Sy) part vers d’autres chemins, et que Philippe devra juste se réhabituer à quelqu’un, ré-expliquer, refaire confiance. J’ai ressenti ce qui me rend souvent un peu triste.

Son impact

On me dit souvent que ce film a mis en lumière le handicap – rappelons déjà que l’on parle là seulement de handicap moteur. Mais c’est vrai, je ne me souviens d’aucun autre film dont le personnage principal est tétraplégique, et encore moi avec un tel retentissement dans le paysage audiovisuel. Par contre, il y en a eu en autres sur le handicap intellectuel : Rain man (1988) et Le Huitième Jour (1996) ont eu aussi un grand succès et on été très médiatisés. Ils ont toujours cette aura de films cultes, aujourd’hui. Mais ont-ils réellement amené un changement dans la manière de voir le handicap intellectuel ? Depuis leur sortie, son traitement au cinéma a-t-il évolué ?

Je ne pense pas que l’on puisse aujourd’hui juger, de manière objective, de ce qu’aura amené ou pas Intouchables : est-ce que ce n’aura été qu’un feu de paille ? Le film aura-t-il changé durablement l’image du handicap moteur pour les gens ? Aura-t-il permis que ce sujet soit plus souvent traité au cinéma ? Rendez-vous dans dix ans pour faire le vrai bilan d’Intouchables.

La seule vérité

Ce film est beau, plein de clichés, mais joli. Puis c’est vrai, il a permis un regard différent sur le handicap. Mais vous savez, tous les handicapés ne sont pas tétraplégiques et tous les tétraplégiques ne sont pas riches. J’ai parfois eu l’impression que, grâce à ce film, les gens pensent avoir tout compris du handicap et de la dépendance. J’ai souvent la sensation qu’on ne peut pas toucher à Intouchables.

Mais Intouchables n’est pas une vérité en soi. Il n’est pas le film à voir absolument pour tout comprendre des personnes en situation de handicap, comme il y aurait un « Comprendre les handicapés pour les nuls » ou une bible sacrée. C’est un beau film, un belle histoire, une histoire vraie. Mais c’est une seule histoire parmi des milliers.

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