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U-exist, la mode prosthétique

Manchon tibial motif Maria

Orthoprothésiste de formation et fondateur du collectif Custoprothétik, Simon Colin vient de lancer le site U-exist, marque spécialisée dans la customisation des prothèses et orthèses. L’objectif pour Simon et ses collaborateurs (tatoueurs, graphistes, stylistes) : créer de véritables collections, inspirées des tendances de la mode.

Durant ses études, Simon s’est longuement penché sur « les impacts psychologiques de la personnalisation de l’appareillage ». Son constat est sans appel : vecteur de réappropriation du corps et facteur de lien social, l’apparence de l’appareillage est un sujet important et sa customisation est à la fois cause et conséquence du processus de reconstruction identitaire, « en particulier chez les personnes ayant subi un événement traumatique ». Participer à la personnalisation de sa prothèse en fait dès lors « un véritable outil thérapeutique ». Interview.

 

Cover Dressing : Comment t’est venue cette idée ?

Photo : Alexandra Caussard
Simon Colin dans les bureaux de U-exist

Simon Colin : Quand je faisais la fourniture de l’appareillage, je voyais que les gens étaient déjà un peu désemparés. J’ai eu envie d’y apporter un peu plus de fun, surtout que c’était à un moment où la customisation était en plein essor. En 2008, durant ma 2e année d’études d’orthopédie, j’ai rédigé un mémoire sur « les impacts psychologiques de la personnalisation de l’appareillage ». J’y ai étudié le développement psychologique et identitaire classique, de la naissance à l’âge adulte, et j’ai pensé : qu’est-ce qui va être chamboulé dans ce cheminement pour une personne en situation de handicap ? Qu’est-ce qui va l’altérer ? J’ai beaucoup lu sur la psychologie, l’identité, la perception du beau, etc… Tout cela m’a stimulé sur ce que ça pourrait apporter, par rapport aux patients et à leur entourage.

Il y a un côté fonctionnel – c’est l’objectif – mais c’est aussi un facteur de lien social puisque la prothèse est aussi perçue par le regard extérieur. Le but était d’y intégrer un côté artistique pour créer un pont entre des milieux qui, à la base, n’ont pas de raison de se rencontrer : l’art, la culture et le handicap. C’est une façon pour le patient de s’impliquer davantage dans son projet d’appareillage pour mieux se l’approprier. Et, du point de vue du regard extérieur, de casser des tabous.

CD : Tu t’es aussi beaucoup inspiré du tatouage ?

SC : Le tatouage est, je pense, le mode de personnalisation le plus ancien. A la base, se marquer était un signe d’appartenance. Puis c’est devenu un moyen de revendiquer. Et, pour moi, l’appareillage orthopédique restait une surface exploitable, une surface d’expression pour le patient, qui peut être considéré comme une page blanche. La question, pour le patient, c’est : que pourrais-je y mettre qui me permettra d’avancer ?

CD : Tu as donc pu estimer l’impact de la personnalisation au niveau psychologique ?

SC : On peut suivre l’évolution psychologique du patient dans les différentes étapes de personnalisation. Quand il change de motif, on sait pourquoi : il n’est plus dans le même état d’esprit qu’avant. La majorité des psychologues qui suivent le projet trouvent ça intéressant que l’esthétique de l’appareillage évolue aussi avec l’état d’esprit du patient. J’ai eu plusieurs cas assez parlants. Par exemple, un patient : accident de moto, première personnalisation, proche au niveau post-op, motif très sombre. On sentait qu’il était dans une phase très « dark ». Quand je lui ai demandé ce qu’il avait voulu exprimer, il m’a répondu : l’accident. 4 ans plus tard, c’était « carpe diem ». J’ai aussi un homme âgé qui m’a juste demandé de pouvoir signer sa prothèse : c’est une façon de se l’approprier.

CD : Y a-t-il un cheminement de reconstruction identitaire type ?

SC : L’amputation, c’est particulier. Tout le monde le vit différemment, il n’y a pas de codes. Entre une femme et un homme, c’est aussi différent. Une femme va souvent porter plus d’attention à l’esthétique de son appareillage. Pour les enfants, c’est clairement un enjeu de lien social.

CD : C’était le cas pour le petit Arthur, dont on peut découvrir l’histoire, en images, sur ton site ?

SC : Au début, Arthur avait une prothèse qui ressemblait à une jambe. Il ne l’acceptait déjà pas lui-même alors quand il est arrivé à l’école, il est devenu la tête de turc. C’est arrivé il y 4 ans, Arthur en a maintenant 8. Du jour où il a personnalisé sa prothèse en y apposant ses héros préférés, les choses ont changé. D’abord, il avait envie de la mettre – c’est déjà une victoire. Puis quand il est arrivé à l’école… les gamins étaient jaloux. Ils étaient jaloux ! Ses camarades de classe le voient comme « un petit robot ». Ce n’est pas péjoratif. Un adulte pourrait le prendre mal mais un gamin se dit « je suis un super-héros pour mes camarades de classe ». Ça a vraiment valorisé son image. Et aujourd’hui, Arthur est un petit garçon comme tout le monde. Le handicap n’est plus là. Il lui manque juste quelques petits bouts.

Les produits

Plusieurs types de customisation sont proposés : la partie U-custom permet une personnalisation permanente de l’appareillage « sur papier transfert pour les orthèses avec la gamme U-print ou sur textile de stratification pour les prothèses avec la gamme U-strat « . La partie U-dress propose quant à elle une gamme textile composée de manchons et guêtres recouvrant l’appareillage, toujours en adaptant le motif à la forme du membre, du 4 ans au XXL.

L’avis de Jonathan

« Pour les manches à enfiler, que ce soit le membre supérieur ou inférieur, la qualité du tissu est très bonne. C’est solide et ça résiste à l’eau – je les ai testées dans la neige. Les tailles correspondent bien et les motifs, assez restreints au début, vont être de plus en plus nombreux. Il va y en avoir pour tous les goûts et, plus important, pour tous les âges.

Après, pour un double manchot comme moi c’est assez difficile à enfiler. C’est pourquoi je me suis tourné vers les modèles permanents directement appliqués sur l’emboîture. Le rendu est très joli et les mecs s’y connaissent vraiment bien en tatouage. Du coup, quand on demande une personnalisation, ils vont voir le tatoueur le plus qualifié pour chaque type de dessin. Moi, je leur ai demandé un motif bioméca pour mon emboîture. Ils s’occupent de tout : du dessin, des tailles, de contacter l’orthoprothésiste, etc… »

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2 commentaires

  1. Merci de cet article; le cas du petit Arthur est tout à fait représentatif de ce que j’ai connu lors des jumbos.
    De gamins différents, ils sont passés à gamins uniques, inimitables…le regard avait changé.
    Bonne journée à toutes et à tous

  2. C’est un super projet et très bien fait (graphique et moderne), et cette interview permet de comprendre qu’il est important de mener un vrai questionnement esthétique quand on conçoit pour les personnes en situation de handicap, cette dimension ne doit pas être relayée au second plan.

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